lundi 17 octobre 2011

Interview Lydia Lunch




Lydia Lunch est connue pour sa carrière sans compromis. Elle a tenu un rôle essentiel dans la scène new yorkaise de la fin des années 70 et du début des années 80 (mouvement musical et cinématographique No Wave).
Elle a fondé sa propre maison d'édition Widowspeak dés l'âge de 25 ans. Elle a réalisé plus d'une trentaine de disques , 4 livres , des scénarios de bd , des performances , des installations , des expos de photographies. Elle a multiplié les collaborations. De par son tempérament chacune de ses créations est souvent en opposition à la précédente. Elle se dit addict à l'énergie et à la créativité , on veut bien la croire vu sa production. Elle a centré sa créativité sur l'exploration du côté sombre de la nature humaine , ses textes sont très percutants et ne manquent pas d'humour même si cet humour est souvent très noir ou cynique.
Les musiciens qui l'accompagnent dans Big Sexy Noise sont excellents et le concert à Joué les Tours a été un grand moment de rock.

Voici la traduction (milles merci à Delphine pour son aide précieuse !) de l'interview de Lydia Lunch réalisée au Temps Machine le 6 octobre 2011 :

LYDIA - Bonjour !

GAGARAMA - Bonjour Lydia ! c'est une interview pour une radio rock et tu es très appréciée dans cette radio

LYDIA - Oh la radio m'aime , je suis très heureuse que quelqu'un m'aime

GAGARAMA - Tu n'as jamais fait de compromis et nous aimons cela

LYDIA - Je suis ici pour recevoir de l'amour , je suis ici pour donner de l'amour , qu'est ce que je peux dire ... je suis la motherlover de l'underground !

GAGARAMA - Cette interview sera également sur un blog qui s'appelle gagarama sur lequel il y a déjà une interview d'Alan Vega

LYDIA - Oh fantastique , Alan Vega a été un de mes premiers amis à New York ... j'étais une adolescente de 16 ans en fugue , des hippies m'avaient pris en charge et je me suis retrouvé devant le Max Kansas City. Suicide y donnait un concert et je faisais partie de la dizaine de spectateurs Après le concert j'ai été les voir et Alan Vega et Martin Rev sont devenus mes premiers amis. C'était un bon départ !

GAGARAMA - Alan Vega est extrêmement brillant quand on discute avec lui il essaye toujours de montrer les choses sous un autre angle , un peu comme toi ...

LYDIA - Yeah

GAGARAMA - Première question , pour moi il y a un paradoxe parce que ton image est très sexe & drogues ...

LYDIA - Et regarde moi maintenant , célibataire et sérieuse !

GAGARAMA - Tu as l'air en forme ...

LYDIA - 52 ans !

GAGARAMA - Yeah ... tu as fait 30 disques , 2 livres ...

LYDIA - ... j'ai fait au moins 4 livres , plus 3 scénarios de BD , j'ai certainement participé à plus de 30 disques mais je ne peux pas te dire combien , j'ai fait plein de spocken words et cetera et cetera ... je réalise que je suis l'artiste la plus prolifique de ma génération !

GAGARAMA - ... tu as fait des films , des tas de collaborations ... mais pour faire tout cela tu as besoin d'avoir énormément de discipline !

LYDIA - Bien sûr que j'ai besoin de discipline ! C'est ce qui me différencie de beaucoup de gens de ma génération. Tu évoques le sexe et la drogue ... effectivement j'apprécie toujours le sexe et j'apprécie toujours les drogues mais je n'ai jamais aimé les drogues qui causent tant de problèmes comme l'alcool et l'héroïne. Une garce volage comme moi va bien sûr être volage au niveau du sexe mais aussi va être volage au niveau des drogues et expérimenter et apprécier plein de trucs ! Mais je n'ai pas besoin de cela à chaque instant ! C'est ce qui fait la différence entre moi et une personnalité addictive comme pas mal d'artistes. Mon addiction personnelle est l'énergie. Et ce qui me donne l'essentiel de mon énergie c'est de créer. Aussi je n'ai jamais été intéressé par l'alcool ou par l'héroïne. Bien sûr je me suis pris des cuites quand j'avais vingt ans mais maintenant je bois juste un cognac avant de monter sur scène et un autre après ... J'apprécie de boire un verre d'alcool mais je n'ai jamais eu besoin de boire régulièrement. Ca n'apporte rien ... Sur scène c'est bon pour la gorge !
Et c'est pareil pour les drogues : j'aimerai qu'il y ait plus de drogues , de meilleurs drogues , des drogues différentes. Je suis né en 1959 et il y avait des bonnes drogues au début des années 70 et certaines que l'on ne trouve plus. J'ai commencé à gouter des drogues à 12 ans et je ne pense en avoir souffert mais peut être parce que j'aime la mescaline , les acides , ? , les quaaludes et on a arrêté de trouver de ces drogues avant que cela puisse me poser des problèmes. Je n'ai pas à prendre des trucs pour être complètement barré ou être out-of-my-mind : je le suis déjà naturellement ! Au contraire j'utilise les drogues pour avoir plus de focus , pour me concentrer sur quelque chose.
La discipline pour moi est en rapport avec mon travail qui est de créer. Je ne suis pas toujours en train de créer. Je ne me mets pas à créer dés que je me réveille ! Quand je dois écrire une chanson j'écris une chanson. Quand je dois écrire un speech j'écris un speech. Quand je dois faire des photographie je planifie ça !
Dans 2 semaines un DVD de mon travail va sortir à l'occasion du festival de Luff à Lausanne (festival de cinéma et de musique underground). Ce dvd rassemblera différents aspects de mon travail des spocken words , des musiques et des photographies. C'est quelque chose de nouveau , un one-woman-multimedia show sur lequel je travaille depuis plusieurs années.
Aussi quand je dis que je crée , je suis une conceptualiste , je trouve des concepts. Prends n'importe lequel de mes travaux ... Prends par exemple Shotgun Wedding. J’ai trouvé le concept ... ça je ne peux pas te dire comment c'est souvent un mystère ! Mais je savais qu'il fallait que je fasse Shotgun Wedding avec Rowland S Howard. Nous sommes partis à New Orleans écrire les chansons et finalement les enregistrer. Et je fonctionne comme cela encore et encore , et tout cela fonctionne par une sorte de magie ! Bouger de villes en villes , travailler avec des personnes différentes , ne jamais faire la même chose C'est un style de vie très coûteux ! Ce n'est pas un style de vie très rentable ! ... C'est quelque chose d'étrange ... Parce que ça coute très cher ... mais c'est nécessaire pour mon travail et à chaque fois je trouve une solution presque par miracle ...

GAGARAMA - Peut on dire que les textes , les mots sont la partie la plus importante de ton travail ?

LYDIA - C'est ce que mes amis disent ...

GAGARAMA - ... Est ce que tu écris tous les jours ?

LYDIA - Non , je faisais cela quand j'étais jeune mais je ne garde plus de carnets et quand j'ai rempli un cahier de chansons je brûle le cahier ... Je suis en rébellion contre l'art conventionnel !

GAGARAMA - Je me souviens d'avoir lu un texte de toi à ce sujet dans Juxtapoz

LYDIA - Tout à fait , c'est exactement de ça dont je te parle ! Ce texte était une réaction à Andy Warhol qui gardait tout , le moindre bout de papier ... Brulez moi tout ça !
Je n'écris pas tous les jours j'écris quand j'ai besoin d'écrire. Quand je dois écrire un truc , avant de m'y mettre je bouge partout , je bois un café , je fume une cigarette , je peux faire des kilomètres d'allée et venue. Mais quand je m'assois sur ma chaise alors j'écris le speech , j'écris le texte. Si il s'agit des paroles d'une chanson cela me prendra dix minutes mais le plus dur c'est d'obtenir cette première minute ! Pour un spocken word il faut que quelque chose , une expérience dans la vie , une info dans un journal ou à la télé me fasse réagir , et des fois cela me fait réagir aussi violement que si j'avais un cancer ! Alors là j'écris un spocken word. Le côté création artistique est très immédiat mais pour l'obtenir je dois me bouger , aller d'un pays à un autre , aller d'une ville à une autre !

GAGARAMA - Il y a quelque chose que j'aime beaucoup dans ce que tu écris , c'est qu'il y a toujours beaucoup de dérision , d'humour noir et je ne suis pas sûr qu'en France cet aspect là soit vu par tous les gens qui te connaissent

LYDIA - Je pense que pas grand monde le voit et je te remercie de l'avoir remarqué ! Dans la vie de tous les jours je suis très drôle ! Je vois toujours la comédie dans la tragédie ... je vois toujours le côté humoristique de la tragédie ! Je suis une intellectuelle sadique !
Je viens d'écrire un texte sur la réalité qui est désastreuse ... surtout après la Patriotic Act (suite au 11 septembre) qui a permis aux Etats Unis de tuer et de transformer le reste de la planète en esclaves et en victimes ! Une partie de moi est comme un enfant qui vomit un repas empoisonné que lui aurait servi son père ... et une autre partie de moi rigole comme une vilaine sorcière qui se délecte de la stupidité des hommes , surtout de leurs dirigeants , ces misérables marionnettes qui sont en train de pourrir la planète !

GAGARAMA - Tes textes tournent souvent autour des tensions qu'il peut y avoir dans le cercle familial , ou des tensions qu'il peut y avoir dans les relations amoureuses , tu aimes explorer la folie qui peut naître de ces tensions

LYDIA - Ma première investigation dans ma psychothérapie publique , mon premier spocken word a été une lettre à mon père. Il était mon principal problème et j'avais besoin de m'adresser à lui en premier avec l'arrogance et l'acharnement de mes vingt ans. Puis j'ai développé l'idée qu'au dessus de mon père il y a d'autres pères : les trous du cul qui dirigent les pays. Si il y a une chose que nous partageons tous dans le monde c'est bien la stupidité de nos dirigeants. Un texte essentiel contre les pères qui dirigent nos pays est mon spocken word the Gun Is Loaded (le pistolet est chargé) , écrit contre Ronald Reagan. Au dessus des pères de nos pays il y a dieu le père. J’ai attaqué cette unholy trinity (trinité sacrilège) comme une sorcière dévalant de sa colline ! Ensuite je me suis attaqué à ma mère et aux femmes en général parce qu'il n'y a pas de raison de s'arrêter là ! On est tous coupable de quelque chose ! ... la désolation de notre époque vient des grosses corporations , des réseaux qui manipulent nos hommes politiques comme des marionnettes pour piller et ravager la planète. La solution n'est pas simple mais le problème est simple !

GAGARAMA - Lorsque tu écris tes textes tu sais si le résultat sera une chanson , un livre , un script ?

LYDIA - Oui , absolument !

GAGARAMA - Il y a différentes étapes dans le processus ?

LYDIA - Oui , mais je me concentre sur ce que j'ai à écrire. Je suis à une étape intéressante de ma carrière. Les choses ont un peu changées. J'ai toujours été en en réaction par rapport à ce que j'avais fait précédemment. J'ai fait un truc en opposition à ce que j'avais fait dans Teenage Jesus , puis j'ai fait un truc en opposition à 8 Eyes Spy , puis un truc en opposition à Queen of Siam , et ainsi de suite ... Tout cela quelque part est toujours en sens opposé parce que ma nature est ainsi ... La contradiction convient très bien à ma nature schizophrénique !
Mais je n'avais jamais écrit de fiction. Et je viens d'écrire un texte de fiction pour le recueil du Prix Hemingway , concours annuel de nouvelles sur la tauromachie. C'est intéressant parce que peut être je n'ai plus rien à explorer dans ma vie de tous les jours !
Moi qui aime toujours tout remettre à plat à chaque nouveau projet , pour la première fois de ma carrière je viens de faire un second album avec la même formation , Big Sexy Noise. Je commence à me rebeller contre ma propre rébellion ! ...
C'est intéressant d'écrire de la fiction. Mais pour moi c'est un autre sport. Si tu es un catcheur professionnel tu ne vas pas faire des ballets ! Et j'ai une mentalité de catcheur et pour moi écrire de la fiction , c'est faire du ballet , c’est faire une fantaisie !

GAGARAMA - Tu viens de parler de ton nouvel album. Tu l’as fait avec les musiciens du groupe britannique Gallon Drunk ...

LYDIA - et nous formons Big Sexy Noise !

GAGARAMA - Tu travailles depuis pas mal de temps avec Terry Edwards

LYDIA - Et avec Ian White le batteur ... oui pour mes projets solo je travaille avec eux depuis dix ans ... parfois juste avec Terry , des fois avec les deux , des fois juste avec le batteur. Souvent avec des bandes sons , une musique psycho-ambiante qui illustre des projets basés sur des textes , sur les mots.
Mais là nous avons eu l'envie d'un projet rock. Actuellement la plupart des groupes rock sont soit surproduit soit sousproduit ! Leurs chansons sur leurs petites romances chimiques sont ridicules ! Si j'avais douze ans ça me plairait peut être ! ... J'ai eu envie de faire du rock avec des couilles parce que même si on est une femelle on peut faire du rock avec des couilles. Je pense aux Bellrays par exemple ... dans les sixties il y avait plein de groupes comme ça , surtout à L.A. mais maintenant il n'y en a plus beaucoup ... C'est amusant parce qu'au début j'étais fan de glam rock et de glitter rock et Big Sexy Noise a des chansons qui sont très proches du Glam Rock. Ce sont les New York Dolls qui m'ont fait aller à New York ! Et dans un certain sens Big Sexy Noise c'est un retour à ça ! Mais c'est quand même un petit peu différent , c'est voluptueux , c'est swampy (blues des marécages , du bayou). Et ce projet est une réaction à ce que je faisais avant qui était très politique. Ca le reste un peu , la politique étant mon obsession mais qui va aller disséquer tout ce que je dis ! Et c'est la première fois que je fais 2 albums la même formation !

GAGARAMA - Pour cet album tu as fait la plupart des compositions avec le guitariste

LYDIA - Oui avec James Johnston

GAGARAMA - J'adore ta voix sur cet album

LYDIA - Yeah ! Je continue à fumer des cigarettes !

GAGARAMA - Et c’est plus chanté ...

LYDIA - Ah c'est le truc ! Ne pas chanter c'était mon côté rebelle ! On me disait « vas-y chantes ! » Et je répondais « non ! je ne veux pas chanter ! » Pourtant il y a ces reprises que j'adore chanter comme Don't Fear the Reaper ou Some Velvet Morning ! Je peux chanter mais il y a toujours ce côté rebelle qui me dit ne chantes pas !

GAGARAMA - Le résultat est très rock , très blues !

LYDIA - Très rock , très blues , swampy. C'est un putain d'album de rock ! C'est du glam rock avec des grosses couilles et c'est moi qui l'ai fait !

GAGARAMA - Du rock sale ...

LYDIA - Très blues baby ... attends de voir le show !

GAGARAMA - Tu es très amie avec Virginie Despentes

LYDIA - She is my dream ...

GAGARAMA - Elle est une importante écrivaine française

LYDIA - Absolument !

GAGARAMA - Une part importante de son œuvre est une réflexion sur la condition féminine. De ton côté tu as également exploré le sujet. Est ce que vous êtes en accord ou est ce que vous voyez certaines choses différemment ?

LYDIA - Je ne vois aucun sujet sur lequel je pourrais être en désaccord avec elle. J’adore ce qu’elle écrit. Je l’aime. Nous sommes très amies. Elle vit à Barcelone également. Virginie a rencontré sa partenaire à l’un de mes concerts. Virginie me doit donc 10% de cette passion amoureuse parce que cette rencontre c’est faite grâce à moi ! Ceci dit , nous écrivons chacun de notre point de vue. Moi je vois les choses plutôt d’un point de vue politique et Virgine a un point de vue plus féminin , féministe. J’écris contre la main mise patriarcale et corporative sur la société d’une manière globale. Virginie travaille sur le supplément conscience que l’on doit donner aux gens pour qu’ils puissent penser mieux. C’est notre champ d’action qui nous différencie. J’ai rencontré Virginie il y a dix ans lorsque Paradoxia est sorti en France. Et puis nous avons été des voisines au cœur brisé à Barcelone. Actuellement Virginie est à Paris pour réaliser un film. Virginie ne le sait pas mais je suis en train de rassembler tous nos emails , tous les poèmes que nous nous envoyons pour faire un livre d’amour. Cela sera comme les lettres d’Henri Miller et Anaïs Nin. Ces correspondances entre artistes que les gens aiment lire une fois que les artistes sont morts. Aussi je garde tous les emails que nous nous échangeons avec Virginie , mon Evil Twin. Ce sont des poèmes d’amour. Tu vas voir garce ! Nos lettres vont être publiées !

GAGARAMA - Tu sais que la traduction de ton livre par Virginie Despentes est excellente ...

LYDIA - Yeah

GAGARAMA - ... c’est un peu Edgard Poe traduit par Baudelaire ! Vous avez parlé ensemble de la façon de traduire ces textes ?

LYDIA - Oui bien sûr ! C’est un vrai problème de traduire mon anglais. Mon anglais n’est pas un anglais classique. Il y a beaucoup d’argot , de jeux avec les mots. C’est un langage qui vient de la rue. Je fais des jeux de mots vicieux , qui ne sont facile à comprendre pour personne. Ce n’est pas facile pour les français d’appréhender correctement la littérature américaine ... même si ils connaissent mieux la littérature américaine que les américains connaissent la littérature française ! Les écrivains américains se comprennent mieux entre eux , moi y compris. Mais tu dis qu’elle a fait un bon boulot

GAGARAMA - Oui elle a essayé de rendre en français ce que tu fais avec l’anglais. Le résultat est plutôt très bien.

LYDIA - Nous avons passé un moment génial toutes les deux l’année dernière au festival Emmetrop à Bourges et à Rennes. Je lisais mes textes à moi , et elle lisait sa traduction. Je vais faire un truc similaire demain à Rennes à partir de textes tirés de Paradoxia. J’adore faire ça ! La lecture de la traduction est importante parce que cela permet aux spectateurs de comprendre ce que je dis.

GAGARAMA - Dans tes livres tu parles souvent de relations amoureuses. Il y a toujours ce paradoxe. Les mecs sympas sont ennuyeux. Et avec les bad boys ça tourne toujours vinaigre.

LYDIA - Il n’y a pas grand chose à dire à propos des mecs sympas.
Ce n’est pas mon boulot de partager mon bonheur ou ma joie. De disserter de combien je suis heureuse avec mon putain de chat ! C’est à d’autres personnes de le faire. Je dois me concentrer sur les sujets que je dois explorer , l’attraction pour le côté sombre des choses , la mort , le danger. C’est peut être pour cela qu’il est temps que je me tourne vers la fiction , parce que ma vie a changé et que je ne peux pas toujours raconter la même histoire encore et encore , et je dois avoir d’autres perspectives que de continuer une psychothérapie publique qui dure depuis 33 ans. Ma vie est plus calme et elle ne peut plus constituer le sujet pour mon travail. Aussi je me tourne vers la fiction.

GAGARAMA - Tu veux continuer à explorer le côté sombre

LYDIA - Parce qu’il est nécessaire que cela soit expliqué d’un point de vue féminin. Toujours et encore. Le côté sombre c’est de quoi la poésie se nourrit. C’est dans l’underground , dans le caniveau , dans la pourriture que la poésie se développe.

GAGARAMA - Justement nous allons parler de poésie.

LYDIA - Allons dans le caniveau !

GAGARAMA - Dans ton livre il y a une très longue citation d’Antonin Artaud , c’est un écrivain qui n’a jamais fait de compromis. Tu connais bien son œuvre ?

LYDIA - Bien sûr c’est pour cela que j’ai choisi cette longue citation qui collait parfaitement à la situation.

GAGARAMA - Son travail porte beaucoup autour du corps. Ton travail parle également beaucoup du corps. Tu sembles mieux accepter le corps et l’ensemble de ses pulsions.

LYDIA - J’essaye d’accepter la prison qu’est mon corps. Pour mieux pouvoir en sortir. Dans un sens la tache d’Antonin Artaud était plus compliquée parce qu’il était enfermé dans une cellule. Il avait à combattre deux enfermements. Il avait deux prisons à briser ...

GAGARAMA - Les villes sont quelque chose de très important pour un artiste. Dans Paradoxia chaque ville semble être une étape dans ta vie.

LYDIA - Bien sûr , chaque ville est importante. Il y a plein de raisons différentes qui peuvent me faire changer de ville : des collaborateurs , l’inspiration , le prix de la vie. Si tu vis dans une ville comme San Francisco , à un moment donné il va falloir que tu ailles à Pittsburg parce que la vie y est moins chère ... Lors d’une tournée j’ai fait une enquête dans chaque ville où je passais et j’ai demandé à tout le monde « Combien tu payes de loyer ? Combien tu as de chambres ? ». J’ai fait ça dans une quinzaine de ville. La conclusion a été : je vais m’installer à Pittsburg ! Et j’y ai vécu quatre ans ! Cette enquête a été la seule raison pourquoi j’ai habité à Pittsburg ... un peu comme si j’avais joué à une loterie. Mais j’y étais heureuse et ils étaient content de m’avoir !

GAGARAMA - Tu as vécu à New York et dans les années 70 c’était très actif , ça bouillonnait de créativité. Il semble que tout cela soit parti ...

LYDIA - Evidemment que tout cela est parti ! ... J’ai vraiment quitté New York en 1990. Mais entre 1976 à 1990 j’ai été 2 ans à Londres , 2 ans à Los Angeles , j’ai été à d’autres endroits. Du coup je n’y suis pas restée tout le temps. Cela a été une grande période. Mais tu sais que chaque chose a un cycle , chaque mouvement a un cycle , chaque ville a un cycle et pour la ville New York son cycle créatif est fini depuis des années ! Et quand des artistes me disent qu’ils vivent à New York je n’arrive pas à comprendre , c’est très cher. Je n’arrive pas à comprendre comment ils peuvent s’en sortir financièrement.

GAGARAMA - Qu’est ce qui t’attire à Barcelone ?

LYDIA - Le passé historique de cette ville , l’architecture , les artistes , le fait que cela soit une place centrale en Europe. Je ne parle pas espagnol , je ne cherche pas à le comprendre , je connais juste les mots de base pour me débrouiller dans la vie de tous les jours. Ce n’est par arrogance , c’est pour me protéger. J’aime être une étrangère , ça m’est confortable. La qualité de vie à Barcelone est bonne. Bien sûr si je faisais la fête tout le temps ça serait dur ! Mais je travaille. Je ne sors pas. Faire la tournée des bars et boire ça ne m’intéresse pas. On trouve un peu de drogue , c’est toujours intéressant. Mais c’est la qualité de la vie avant tout qui me plait à Barcelone. Pour moi il était important de ne plus habiter aux Etats Unis. Pour moi cette nation est le mal absolu. Je suis heureuse de m’en être échappé ! Les Etats Unis sont l’ennemi du monde , l’ennemi de la planète. Cela m’obsède.

GAGARAMA - C’est l’aspect politique de ton travail.

LYDIA - Oui , je ne peux pas m’échapper de ce côté politique. Mais je ne suis pas comme une illuminée en haut de la montagne qui crie « Attention il y a la guerre !». Il y a la guerre. Je ne peux pas m’arrêter d’être politique , parce que la guerre est là et elle ne va pas s’arrêter !

GAGARAMA - Il y a l’Irak ...

LYDIA - Les Etats Unis possèdent 800 bases militaires dans le monde. Si tu as besoin de chiffres je peux te les donner. Ces chiffres sont importants. Les victimes , combien de gens meurent , combien de gens ont été tués , combien de civils ont été tués. Tous ces chiffres sont importants pour moi et me rendent malade. Les Etats Unis sont comme un cancer dans ma tête. C’est pour ça que je suis contente d’être en Espagne et de ne plus habiter là bas. Depuis que je n’y suis plus je me porte mieux. J’avais développé plein de cellules cancéreuses en vivant là bas. J’ai tout coupé.
Depuis que je suis à Barcelone , je me sens bien. J’apprécie de me balader dans les rues. C’est vrai que les grands mères ont tendance à brailler dans les bus ... C’est pour cela que je n’ai pas voulu apprendre l’espagnol ! Mais si mon seul problème à Barcelone c’est les grand mères je peux y rester ! Et en plus il y a les architectures de Gaudi ...

GAGARAMA - Sûrement la dernière question ...

LYDIA - Yeah (witch yeah) ... je me suis énervé sur les Etats Unis mais vous ne vous êtes pas enfui !

GAGARAMA - Tu as fais une reprise de Frankie Teardrop de Suicide

LYDIA - Yeah (happy yeah)... et c’est une super reprise , pas vrai ! C’était génial à faire !

GAGARAMA - Que Lydia Lunch fasse une reprise de Suicide c’est génial ! Mais encore mieux tu viens de faire un duo avec Alan Vega ! Et c’est je crois hyper rare qu’Alan Vega chante en duo !

LYDIA - Je sais ! J'ai de la chance !

GAGARAMA - Cette chanson s’appelle Prison Sacrifice , comment c’est déroulé la réalisation de cette chanson ?

LYDIA - Marc Hurtado m’a fait écouter plusieurs musiques. Et je lui ai indiqué celle que je préférai. Ensuite il m’a envoyé le morceau avec la voix d’Alan. Et j’ai posé ma voix à mon tour dessus. J’ai fait ça dans mon garage. Et j’ai fait ça comme ça venait. Comme je le sentais. Ce fut une expérience géniale pour moi !
Mais Frankie Teardrop ... (ectasy yeah) ... Quelle chanson !
Pour la reprise de Frankie Teardrop , la musique a été réalisée par David Knight , un excellent musicien qui a travaillé avec Danielle Dax. Il a fait un boulot exceptionnel sur cette cover.

GAGARAMA - Frankie Teardrop de Suicide c’est barré , mais tu as également fait des trucs vraiment barré. Je pense à un morceau comme The Crumb que tu avais fait avec Thurston Moore ... C’est très Bad Trip !

LYDIA - C’est exactement ça ! Cette musique a été faite pour être un bad trip ... Tu as bien compris le truc ... C’est une musique qui a été faite par James George Thirlwell de Foetus. Cette musique a vraiment été faite pour être un bad trip ! ...

Merci pour cette interview !

GAGARAMA - C’est nous qui te remercions Lydia !

2 commentaires:

  1. Wow !!! j'ai hâte de lire la suite !!!!

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  2. Voilà vous pouvez lire la suite ...
    Bien le bonjour à vous Mme Grenaille ;)))

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